SURF / Journal
Aube océane
ROMAIN QUESADA
L’odeur d’humus résiné
disparaissait peu à peu.
Les grands pins laissaient
la place à leurs congénères buissonnants.
En arrivant sur la dune, désormais à
découvert, je fus surpris par un courant
d’air aussi rapide que bref. Il souleva une
odeur puissante d’immortelle. Cette risée
vivifiante avait dû me sentir trop engourdi.
Épicé, l’accord mets et vent m’avait rempli
nez et poumons. Il était temps de me
réveiller. Le sol d’aiguilles avait laissé place
au mouvant du sable. Les traversées de
dunes sont des traversées du désert au
petit cours. Il n’y avait pas d’autre forme de
chemin que celui évitant les panicauts,
bien nommés « chardons des dunes » au
regard de leur épines. Chaque pas semblait
marquer le crescendo des couleurs. Tout se
découvrait, s’éclairait, au même rythme.
Progressivement, entre la terre silice et le
ciel saphir, l’horizon prenait de l’épaisseur.
D’une ligne sombre, il devenait trait, puis
socle. Enfin l’océan se dévoilait. Jamais il
n’avait été absent de cette scène originelle.
Toute la nuit il avait grondé. L’humidité
saline qui emplissait l’air forestier en était
son aura. Par le sel, dans l’air comme dans
le sang, l’océan est partout. Partout et là.
Lissé par le vent de terre, il frémissait d’une
envie de conquérir la terre. Le trio
planétaire n’avait de cesse d’aller et venir,
et cela depuis leur tout premier jour.
Ils se jouaient les uns des autres. À chacun
ses tactiques et ses flux. Le ciel avait les
vents, la terre avait les poussières et l’océan,
les vagues. Ce matin, malgré une tentative
du vent d’Est de porter loin les sables
et les pollens sur l’océan, l’océan prenait
l’avantage.
Ses houles longuement préparées,
arrivaient par lot de 6 ou 7 lames. Laissant
quelques répits, l’océan maintenait l’effort.
Chaque vague présentait tous les
contrastes de couleurs et de forme. Très
ronde, puis très creuse. Très bleue, puis très
blanche. Vierge de toute présence
humaine, l’aube avait quelque chose
d’universel. Là, au creux de ce pli de terre,
d’air et d’eau mêlés. Source du vivant.
Devais-je rester spectateur ou entrer dans
la danse ? Une vague plus haute, comme
ralentie par sa masse, s’imposa à l’horizon…
Un oiseau blanc volait à sa
surface, concentré sur sa
ligne. Il montrait la voie.
42